
Texte Serge Loupien
Photo Julien Poupart
ALORS QUE LE BIARRITZ OLYMPIQUE PAYS BASQUE EST RÉTROGRADÉ EN PRO D2 ET QUE L’AVIRON BAYONNAIS VIT DANGEREUSEMENT DEPUIS PLUSIEURS SAISONS, SE POSE LA QUESTION DE L’AVENIR DU RUGBY BASQUE, TANDIS QUE RÉAPPARAIT DANS LE VOCABULAIRE LOCAL UN MOT LONGTEMPS BANNI : CELUI DE FUSION. ET SI LES DEUX CLUBS PROFESSIONNELS PRENAIENT EXEMPLE SUR DEUX CLUBS AMATEURS, GARAZI ET BAÏGORRI, RÉUNIS DEPUIS ONZE ANS SOUS L’APPELLATION US NAFARROA : L’UNION SPORTIVE DE LA NAVARRE.
TITRE
Un rêve en Basque
CHAPÔ
Alors que le Biarritz olympique Pays Basque est rétrogradé en Pro D2 et que l’Aviron Bayonnais vit dangereusement depuis plusieurs saisons, se pose la question de l’avenir du rugby basque, tandis que réapparaît dans le vocabulaire local un mot longtemps banni : celui de fusion. Et si les deux clubs professionnels prenaient exemple sur deux clubs amateurs, Garazi et Baïgorri, réunis depuis onze ans sous l’appellation US Nafarroa : l’Union Sportive de la Navarre.
Texte Serge Loupien
Photo Julien Poupart
TEXTE
« Certes l’accouchement a été difficile, reconnaît Jacky Sallagoïty surtout du côté de Saint- Etienne-de-Baïgorry (1 580 habitants), dont le club, l’US Baïgorri, avait été créé en septembre 1971, par cinq instituteurs dont je faisais partie. » Soit huit ans après la fondation de l’US Garazi à Saint-Jean-Pied-de Port (1 490 habitants), deux villages distants de dix kilomètres situés au pied du col de Roncevaux, et dont toute la saison était alors axée sur un seul match : le derby. « C’est vrai que c’était un événement que tout le monde attendait, poursuit Jacky Sallagoïty. Un gros engagement, mais il y avait beaucoup de respect mutuel aussi. Et puis une grosse fête, bien entendu. »
« C’était une saine compétition, ajoute Alain Fariscot, l’autre coprésident de Nafarroa, parce que tout le monde se connaissait et partageait des moments ailleurs que dans le rugby. La première chose que deman daient les gens qui sortaient du terrain à Garazi c’était : “ Qu’a fait Baïgorri ? ” Et inversement. Cette rivalité entre les deux villages nous a permis de tenir assez longtemps. » Jusqu’au moment où, conscients du fait que le rugby à Baïgorri, comme à Garazi, était en train de péricliter (les deux clubs étant relégués), les présidents alors en place ont décidé d’agir avant qu’il ne disparaisse définitivement. Ainsi après d’âpres discussions et même de conflits ayant suscité quelques rancœurs toujours vivaces malgré les années, est née en 2003 l’US Nafarroa bâtie sur le principe de la plus stricte équité. « Nous avons tenu à ce qu’au niveau de la présidence il y ait un représentant de Garazi et un représentant de Baïgorri, explique Jacky Sallagoïty. Même chose pour le conseil d’administration, neuf membres d’un village et neuf de l’autre. Pour le siège social nous avons choisi naturellement Garazi, juste à côté du traditionnel trinquet, puisque ce club évoluait alors à l’échelon supérieur. Et tout ça fonctionne très bien.»
« Nous jouons en alternance, précise Alain Fariscot, un match là-bas, le suivant ici. Pareil pour les entraînements : deux mois sur un site, deux mois sur l’autre. Il faut être vigilant. »
Car, une décennie plus tard, et malgré un palmarès plutôt conséquent – dont un titre de champion de France de Fédérale 2 en 2006 – il demeure encore, du côté de Baïgorri notamment, quelques nostalgiques de l’ancien temps. « Le problème de la fusion avait divisé les dirigeants, admet Lalou Hirigaray, l’homme qui a commenté pendant près de trente ans les matchs en basque sur Radio Irouleguy, moi-même je n’étais pas trop pour. Mais bon, aujourd’hui il faut reconnaître que c’est dépassé. On n’en parle plus, on est passé à autre chose. »
On n’en parle plus, mais quelques traces du désaccord subsistent encore. Ainsi dans le bar de l’hôtel-restaurant Juantorena, où se rassemblaient avant chaque match les joueurs de l’US Baïgorri, trouve-t-on exposés, à proximité d’une photographie de l’équipe demi-finaliste du championnat de France de 3e division en 1990, les anciens maillots du club (rouge à domicile, blanc à l’extérieur), mais aucun maillot ni fanion rouge et jaune évoquant Nafarroa. « Le client qui m’a offert ces maillots l’a fait à une seule condition : ne pas mettre à côté celui de l’US Nafarroa », explique Bixente Telletchea, qui a repris l’établissement il y a six ans, après avoir travaillé, au sortir de l’école hôtelière, chez Pascal Ondarts au Port Vieux à Biarritz, à cinquante kilomètres d’ici. S’il n’a donc pas connu les tourments de la fusion, il se rappelle avoir affronté Baïgorri à l’époque où, talonneur, il défendait les couleurs d’Hasparren, sur un terrain entretenu par des brebis : « De temps en temps on devait y passer un petit coup de tondeuse, mais j’ai vu fréquemment les brebis dessus. On les enlevait avant les matchs. De toute façon c’était un club atypique, hein. »
Aujourd’hui ce terrain est devenu lieu d’entraînement et les matchs de l’US Nafarroa se déroulent au stade municipal de Baïgorri, situé sur l’autre rive de la Nive des Aldudes, à côté de l’inévitable trinquet, ou, fusion oblige, au stade Adolphe-Jaureguy de Garazi, au pied des remparts de Vauban, non loin du chemin emprunté par les pèlerins en route pour Saint-Jacques- de-Compostelle. Et Bixente Telletchea en convient : « Pour l’avoir moi-même, je comprends l’esprit de clocher, mais quand on considère les titres que Nafarroa a remportés, on voit bien que cette fusion n’a rien de néfaste. »
« Dix ans après, pas mal de gens qui étaient dans l’encadrement et avaient quitté le club de Baïgorri commencent à revenir parce que leurs enfants sont intégrés dans les équipes de jeunes », note ainsi Alain Fariscot. Car outre les remarquables résultats obtenus par ses équipes juniors et cadets, l’US Nafarroa peut se targuer d’accueillir cent trente gamins (à partir de 7 ans) dans son école de rugby. Sans oublier la section sportive que le coprésident a fait ouvrir, il y a dix ans au collège de la Citadelle dont il était alors le principal, et qui est parrainée par Imanol Harinordoquy, porte-étendard du rugby basque formé à l’US Garazi. « Il passe de temps en temps nous donner un petit coup de main, sourit Jacky Sallagoïty, mais les mauvaises langues prétendent qu’il vient voir les matchs seulement à Garazi, jamais à Baïgorri. Paxkal Idieder aussi, ancien pilier de l’US Baïgorri qui a pas mal bourlingué – Bayonne, Auch, Brive – est venu nous aider parce qu’on avait un petit problème en mêlée, surtout qu’on rencontre toujours des équipes auxquelles on rend des dizaines de kilos. Il a pris les joueurs un soir et tout a été réglé. » Jacky Sallagoïty. Un gros engagement, mais il y avait beaucoup de respect mutuel aussi. Et puis une grosse fête, bien entendu. »
Les intervenants sont les bienvenus dans ce club souvent confronté à une pénurie d’éducateurs. Patrice Lagisquet est ainsi venu dispenser ses conseils à deux reprises, et Jean-Pierre Elissalde, installé à Baïgorri depuis 2009, s’est occupé pendant une saison de l’équipe des juniors Bélascain. « Il y en a encore qui regrettent la fusion, s’étonne l’ancien demi de mêlée international (puis manager) de Bayonne, mais il y a toujours des gens qui regrettent quelque chose : l’Europe, la Guerre de cent ans… Moi je suis trop neutre et nouveau dans la région pour avoir un avis tranché, mais je dirai simplement que pour les jeunes c’était la solution. Et la jeunesse a priori c’est quand même l’avenir. Après qu’il y ait quelques bles- sures, comme disait Michel Celaya qui avait toujours le mot pour rire : “ On ne fait pas d’œufs sans casser d’omelettes”. »
Le modèle Nafarroan ne pourrait-il donc pas s’appliquer à des clubs un peu plus huppés ? « J’insiste toujours pour dire que ce n’est pas un projet de fusion mais un projet de création qui doit voir le jour au Pays basque, affirme Jean-Pierre Elissalde. C’est complètement différent. Fusion, ça veut dire qu’il y en a un qui mange l’autre, or il faut créer une nouvelle identité. Ce qui a été fait ici dans la vallée, peut s’étendre à tout le Pays basque. Cela implique que tous les clubs participent à cette création. Détruire les deux chapelles que sont l’Aviron et le BO pour en construire une troisième ne sert à rien. Mais détruire deux chapelles pour bâtir une cathédrale, cela devient un projet plus qu’intéressant qui ne doit pas se faire en catimini entre deux présidents, l’un qui n’a plus d’argent et l’autre qui ne veut plus en donner, mais qui doit être fait pour le Pays basque par tout le Pays basque. Parce que la grande question que je me pose, c’est que vont devenir nos jeunes ? Ici il y a un magnifique terreau, un magnifique vivier. Encore faut-il l’ordonnancer. Et peut-être qu’on arrivera alors à limiter les aigreurs, les déceptions, les incompréhensions. Faire jouer un effectif dans lequel il ne resterait plus qu’Imanol, trente-cinq ans, Heguy et Iguiniz qu’on montrerait sur les affiches en disant : voilà on a fait un club du Pays basque avec trois Basques, ça me semble un peu léger. Et faire jouer une sélection de l’hémisphère Sud, comme les autres, ça n’a pas trop de sens à mon avis. »
Finalement on en vient presque à se demander si, paradoxalement, ce n’est pas aussi du côté du football, et notamment du fonctionnement de l’Athletic Bilbao, de l’autre côté de la frontière, qu’il faut regarder pour mener à bien ce projet identitaire. « Ce qui a été fait à Bilbao, cette particularité politique consistant à ne faire jouer que des Basques, représente un objectif qu’on peut peut-être atteindre dans une vingtaine d’an- nées, estime Elissalde. Il faut mettre en place une stratégie de détection, d’accompagne- ment, de travail, de valorisation, d’éducation même, afin que nos jeunes arrivent prêts. Sinon ce n’est pas la peine. Nos petits rugbymen de Nafarroa sont bons parce ce que dans la cour il y a des espaces, que les ballons sont autorisés, qu’il y a des frontons et des terrains de sports ouverts, qu’ici l’on vit dans un monde où il n’y a pas de grillages, pas d’interdits, où les gamins vont à l’école en vélo. Cette espèce d’éducation aux sports, au mouvement, fait que ces gosses-là ont une forte identité. Il n’y a pas de fonctionnaires ici. Les mecs bossent tous huit heures, douze heures, quatorze heures, ils construisent leur maison tout seul. Il y a cet esprit, cette solidarité qui fait leur force, qu’il faut retrouver. En gros ils privilégient le lien plutôt que le bien. Ils ont un budget de 200 000 euros, c’est minuscule pour la Fédérale 2. »
Budget dérisoire ou pas, l’US Nafarroa continue d’enchaîner les performances (le 25 mai dernier les juniors Ballandrade ont remporté leur second titre de champion de France à Mugron au détriment de Langon) et de pratiquer ce jeu de passes si spectaculaire qui a de tout temps constitué la spécificité des lignes arrières basquaises. « Cette adresse, cette gestuelle, cette vision du jeu viennent de la pratique de la pelote, estime Jacky Sallagoïty. Nous avons des trois-quarts plutôt légers, dans la continuité des avants, et au lieu de rentrer et de percuter, comme en Top 14, nous avons tendance à faire vivre le ballon et à essayer de l’envoyer jusqu’à l’aile. Ça plaît encore ce rugby-là. »
A preuve l’unanimité qui s’est faite dans la région concernant le jeu développé par l’Union Bordeaux Bègles dont tous ici louent la fraîcheur et l’indispensable petit grain de folie poussant certains joueurs à sortir parfois des schémas de jeu préétablis. Il est vrai que l’entraîneur des lignes arrières n’est autre que Vincent Etcheto, un pur produit bayonnais. « C’est de l’atavisme, constate Jean- Pierre Elissalde. N’oublions pas que c’est le petit-fils de Jean Dauger et le fils de Roger Etcheto qui a été mon entraîneur à l’Aviron. Je me rappelle qu’il disait : “ Premier ballon à l’aile. ” Tu parles. Moi je me disais le premier ballon s’il faut taper en l’air on tape en l’air, hein. Vincent a été bercé par ces mots : la passe, le mouvement, et inconsciemment d’abord, consciemment ensuite, il affiche cette volonté, bien sûr, de faire durer et de reprendre à son compte ce que disaient les anciens. Moi mon père me disait : “ Bats toi. ” A chacun son credo, quoi. »