Texte Olivier Villepreux
Photo Julien Poupart
AU WELLINGTON COLLEGE, DANS LA BANLIEUE LONDONIENNE, CE SONT LES ENSEIGNANTS QUI DIRIGENT LES ENTRAINEMENTS. LA DIRECTION DE L’ETABLISSEMENT CONSIDERE LE RUGBY COMME UNE MATIERE A PART ENTIERE QUI, PRATIQUE ET PENSE LIBREMENT PAR DES GENS INTELLIGENTS, PRODUIRA DES HOMMES CREATIFS, INDEPENDANTS ET RESPONSABLES.
INTERTITRE 1
Le fantôme du fameux chef militaire anobli pour avoir flanqué quelques roustes aux armées napoléoniennes pourrait cependant aujourd’hui trouver à redire sur le programme des élèves (de 13 à 17 ans) qui fait la part belle à l’épanouissement de soi en proposant, outre un cursus scolaire orienté vers la culture, une fastueuse palette d’activités physiques ou artistiques. Non moins de 40 sports, tous encadrés par les enseignants en poste dans d’autres disciplines, sont proposés, à côté tout de même de quelques sermons et initiations aux arts militaires. Dans l’ensemble, il s’agit de se forger une morale tout en acquérant de la confiance en soi, laquelle dispenserait d’être dépendant de sa seule bonne fortune.
À plus de 30 000 euros l’année, passons sur l’option « pension complète », la majorité des élèves sont des garçons et le rugby figure en bonne place parmi les sports traditionnels (cricket, hockey sur gazon, équitation, golf) enseignés comme le seraient les mathématiques. Et cela tombe bien, Kyle McDonald, le Rugby School Master chargé de l’équipe première, est également professeur d’arithmétique. En tout, 18 équipes – plus une de filles et une à VII – existent, mais les attentions se portent évidemment sur les meilleures, soit les deux premières. D’autres sports sont également prescrits en dehors de l’option rugby s’ils sont jugés complémentaires dans le but d’acquérir de nouveaux réflexes, des qualités athlétiques, ou simplement pour se remettre en cause dans une discipline où l’on est moins doué. Les deux équipes phares ont droit à deux entraîneurs et un professeur de gymnastique chacune pour les accompagner, tandis que les autres ne sont supervisées que par un seul professeur. Le rugby est considéré comme un cours à part entière, tenu par des intellectuels sensibles aux vertus de ce sport rude qui permet de faire éclore talents et personnalités.
La chose est si sérieuse que l’équipe 1 a remporté trois années de suite le championnat des écoles huppées et qu’elle dispose de joueurs qui ont intégré les centres de formation de grandes équipes comme les London Irish ou les Harlequins. Ce fut le cas pour James Haskell, dernier international formé chez les Wasps après être sorti de Wellington. Une petite minorité a été capée dans l’équipe d’Angleterre ou d’Écosse des moins de 20 ans. Ce qui fait qu’outre les matchs, des joueurs peuvent avoir jusqu’à quatre séances hebdomadaires d’entraînement, le championnat des college se déroulant de l’automne à l’hiver.
L’entrelacement des intérêts de chacun se fait au travers de relations privilégiées qu’entretiennent certaines écoles avec les clubs. Pour Wellington, elles se sont nouées avec les London Irish. Le tout étant supervisé par la Rugby Football Union. « La fédération donne des consignes très générales », explique Kyle McDonald dans le réfectoire des professeurs, jouxté par un salon confortable meublé de fauteuils et canapés servant de salle de lecture. « Leurs indications mettent l’accent sur l’évolution du jeu et sont axées sur le potentiel créatif du joueur et son maintien en bonne santé. » En effet, certains parents appréhendent de voir leurs enfants arriver plus vite à l’infirmerie qu’à l’étude. « Les clubs, eux, apportent un encadrement professionnel, notamment sur la préparation physique, selon la définition d’un poste et des qualités individuelles idoines. Nous échangeons avec leurs entraîneurs mais notre rôle est de leur laisser ici une très grande liberté dans le jeu. »
INTERTITRE 2
Au Wellington College, la question n’est pas de gagner ou perdre des matchs amicaux ; il s’agit de stimuler l’implication des joueurs dans le fonctionnement de l’équipe. « Le fait que je sois aussi leur professeur de maths nous rapproche beaucoup, précise Kyle McDonald. Je fais sur les terrains comme en cours : ils doivent résoudre des problèmes et je n’interviens qu’en cas d’échec. Bien sûr, mon savoir est supérieur au leur, mais notre philosophie est de ne rien imposer. Nous discutons autant que possible de la façon d’analyser une situation de jeu ou une équation. Le rôle du capitaine dans ces discussions est primordial. Et, quand nous ne sommes pas d’accord, elles obligent à se répondre sereinement, à ne jamais déraper. » Les liens que tisse le professeur avec les élèves peuvent parfois avoir l’apparence de la familiarité mais ce n’est pas le cas. Il n’y a jamais un mot de travers, personne ne hurle du bord du terrain, aucun exercice n’est à répéter. « Mais si on leur demande quelque chose, on doit leur expliquer pourquoi et quel processus se cache derrière cette requête. On ne peut pas se défausser. » Le but recherché est sans aucun doute de rendre les hommes, et donc les joueurs, intelligents, en les responsabilisant. « Par exemple, j’ai mis en place un jeu où, si l’on marque un essai à tel endroit du terrain, l’action rapporte un point, et cinq s’ils parviennent à atteindre une autre cible. À eux de voir la façon dont ils pensent parvenir à gagner le match, soit point par point, soit en cherchant une solution plus exigeante mais davantage valorisée. »
Sur le pré, ce travail se vérifie immédiatement. Des modules de jeux, très ludiques, favorisent le jeu à la main et la prise de décision rapide. Dont celui-ci où en quelques passes, même en avant – comme au handball –, il s’agit de vite trouver un partenaire avant contact pour marquer en trois ou quatre mouvements. Et, surprise, on ne travaille aucune mêlée, aucune touche. Kyle McDonald peut aussi changer le ballon ovale par une autre balle, emprunter des règles à d’autres sports. « Des fois ça marche, des fois non. Ce n’est pas grave. Tout comme l’on s’interdira de juger un joueur sur un match. On peut se tromper. »
Ces méthodes ont commencé à être mises en place il y a une trentaine d’années à l’instigation de Geoff Cooke, ancien joueur et entraîneur du XV de la Rose, quand, en 1988, il décide de structurer le rugby amateur anglais par province et de laisser à Don Rutherford, équivalent alors d’un DTN, le soin de changer la façon programmatique de jouer des Anglais et, éventuellement, d’arrêter de boire de la bière. Ces prémices de la professionnalisation, dont Will Carling fut le relais sur le terrain, ont été suivies de diverses réformes qui ont abouti, très lentement certes, à dessiner une politique commune de formation des éducateurs de rugby et à unifier, autour de l’équipe d’Angleterre et à travers un championnat, un certain nombre de principes de jeu valables pour l’ensemble du rugby national. Ainsi, l’Angleterre est passée d’un rugby archaïque et dilettante, dont l’équipe universitaire était le tremplin festif et formateur pour une carrière hors des stades, à un sport professionnel respectant une identité de jeu globalement définie.
Aujourd’hui, les écoles et les universités ne produisent plus l’essentiel des joueurs du XV d’Angleterre, mais l’on continue à penser qu’une tête savante ne nuit pas aux qualités d’un rugbyman et de l’équipe. En son temps, Will Carling, certes militaire, avait également un diplôme de psychologie en poche. Et s’il n’était pas le meilleur centre du monde, il savait parler à ses coéquipiers. « Ce qui a vraiment changé avec le professionnalisme, c’est que l’on peut devenir rugbyman en empruntant d’autres chemins que l’école ou les universités mais, au moins, un diplômé sera en mesure de décider pour lui-même de poursuivre ou non dans le rugby. Il a le choix. » Kyle McDonald sait cependant que les meilleurs éléments ont tout de même choisi Wellington pour jouer au rugby dans des conditions optimales. « Mais nous ne sommes pas aux États-Unis, le rugby ne dispense pas d’avoir des résultats en classe, ils sont là pour ça, et nous ne cherchons pas à attirer tel ou tel type de joueur, il n’y a pas de sélection à l’entrée. » Du moins, en ce qui concerne le rugby.